Bon, j'ai compris, je m'y colle le premier ! Mais faudrait tout de même pas que vous preniez l'habitude !! Ce fut dur. J'avoue avoir déjà envoyé un truc à Franck la semaine dernière. Un truc pas mal mais ne correspondant pas à la consigne. Je me suis donc remis à l'ouvrage. Merci pour vos avis.
SOLITUDES PARTAGEES.
C'est une gare de village, un bâtiment de briques. Je suis seul dans un wagon à compartiments. Le train démarre. Après les dernières maisons du bourg nous débouchons dans un vallon. Il est tôt, la lumière est presque à l'horizontale. Elle donne à toutes choses une teinte orangée, dessine les contours des objets avec précision et étire les ombres. Les sommets à l'horizon découpent au rasoir l'azur du ciel. Au premier plan un chemin de terre pénètre dans des champs de coquelicots. Les plaques rouges, irrégulières, sont disséminées de manière hétérogène dans cette immensité de verdure éclatante. Des bois, plus sombres, délimitent les prés et escaladent les pentes de collines qui se changent plus loin en montagne et clôturent la vallée par des barres rocheuses. Hormis une ferme de pierre, large bâtisse basse au toit bosselé qui dépasse dans le moutonnement des champs, il n'y a aucune trace de vie humaine dans le paysage.
Le train ralentit pour négocier un virage et s'introduit dans un tunnel. Il ne faut pas plus d'une dizaine de secondes pour que l'obscurité soit totale. Soudain une petite flamme illumine le compartiment me révélant la présence d'une femme, celle là même qui manipule les allumettes. Elle est brune, les cheveux courts. Le faible éclairage rougeâtre ne permet pas de distinguer les détails de son visage mais elle paraît plutôt jeune. Avant de se bruler elle souffle l'allumette replongeant aussitôt les lieux dans le noir. La pénombre règne mais dansent encore devant mes yeux des points écarlates, rémanents. « Pourriez-vous frotter une nouvelle allumette s'il-vous-plaît. » demandai-je d'une voix mal assurée. Soudain, le train s'extrait du tunnel, le soleil s'engouffre par la fenêtre et elle n'est plus là. Je sors dans le couloir, il est désert, tout comme le reste du wagon.
Nous passons devant une nouvelle commune. Le train ralentit presque au pas. Je distingue une grande place, celle de la mairie d'où sort un couple. L'homme est en costume blanc, je ne vois que son dos. La femme, bien en chair, d'âge mur, porte une robe rouge cerise avec une longue traine parsemée de volants et de dentelles de la même couleur. Elle doit la tenir dans le creux du bras pour descendre les escaliers. Ils sont seuls. Elle manque tomber et finit par enlever ses chaussures à talon. L'homme lui ouvre la portière d'une décapotable rouge. J'entrevois ses traits, il me paraît très jeune, à peine sorti de l'adolescence. La motrice accélère et laisse derrière elle cette agglomération pour s'enfoncer dans la campagne. Je ne tarde pas à m'assoupir.
Un soubresaut me réveille. Nous sommes de nouveau dans un tunnel mais l'éclairage s'est mis en route. Un des néons clignote faiblement et grésille. Trois militaires sont avachis sur les banquettes et s'invectivent bruyamment. La lumière électrique tremblotante accentue leur pâleur. Une vieille dame les observe à la dérobée avec une expression de dégout.
« Sans déconner, je vais gerber ! Les autres s'écartent de lui.
- T'es nul ! Tu sais pas boire ! Dit le plus grand, très mince, avec une figure en lame de couteau.
- C'est pas ça ! C'est une gastro...
- Bois du coca alors ! Faut boire du coca pour la gastro ! Suggère le troisième.
- T'en-a toi ? Demande le malade qui se tient le ventre.
- Non, au wagon resto doit y en avoir !
- Ouais c'est une meuf qui sert ! Elle l'a l'air bonne ! J'vais la chébran lol ! »
Ils se lèvent en titubant et investissent le couloir. La lumière s'éteint et je replonge dans le sommeil.
Un rayon de soleil me chauffe le visage, son éclat doré perce mes paupières. Il doit être midi. La vieille dame n'est plus là. Par la vitre, défilent maintenant des champs de céréales, en plaines interminables. Blés, maïs se succèdent à l'infini. Il n'y a aucunes clôtures. Tout est tracé au cordeau. Les arbres sont rares et s'accrochent à de maigres talus broussailleux. Quelques routes ou chemins de terre délimitent certaines parcelles. Des engins déambulent comme des hannetons géants sur ces aplats de jaune. On ne distingue pas les conducteurs. Les machines dessinent sur ce canevas des entailles terreuses et laissent derrière elles des nuages de poussières qui retombent en masses duveteuses. La monotonie de ce spectacle me replonge dans un état léthargique.
Je rêve. Je rêve que je ne dors pas. Il fait nuit pourtant, d'un noir profond, mais des spots de couleur éclatent ça et là comme des feux follets. Même lorsque je ferme les yeux, ils sont toujours là. Je ne parviens pas à deviner où va surgir la lueur suivante ni si elle sera rouge ou bleu ou violette. C'est une sorte de kaléidoscope où l'obscurité domine néanmoins. Un feu d'artifice silencieux aux trajectoires aléatoires qui s'épanouissent au ralenti. Soudain, une explosion blanche me fait cligner des yeux.
Il fait grand jour le train est arrêté. Je suis arrivé. Je me lève et m'engage dans le couloir pour descendre. Il faut attendre. Des gens peinent à débarquer de lourdes valises. Par la vitre, j'observe une femme sur le quai. Elle n'est pas grande, pas jolie, la quarantaine, vêtue d'un simple jean et d'un tee-shirt blanc, mais semble déborder d'énergie. Elle ne cesse de s'agiter et guette les voyageurs, fébrile. Elle se penche de droite et de gauche, se hausse sur la pointe des pieds pour voir au dessus de la foule qui se presse vers les escalators dans une procession de bagages à roulettes. Tout à coup son regard s'illumine et elle agite le bras. Dans la foule je distingue une main qui lui répond, mais une bousculade me fait perdre de vue cette main, je ne parviens pas à voir à qui elle appartient... Le train se vide. Je descends. Une marée de dos se dirige vers la sortie. Je ne vois plus la femme, je suis seul.