Un train peut en cacher un autre
Cinq heures, une ville s'éveille.
Une gare, une voix féminine annonçant un départ imminent, amortie par le brouillard matinal. Quelques voyageurs, regards hagards, un chef de quai siffle. Un homme, la trentaine, accourt, saute dans le dernier wagon.
Les portes se ferment, le convoi se met en mouvement.
Même heure, ailleurs. Dos au mur. Une femme, cheveux auburn, longs, ondulés ; elle est jolie, un peu plus jeune. Le désespoir sur ses traits, tristesse.
Un train peut en cacher un autre.
Il s'assoit, pose son sac usé à ses pieds, distingue son reflet dans la vitre. Qui est cet homme, pourquoi cette barbe naissante, visage grave, émacié, ce regard défiant quiconque se permettrait de l'aborder. Qu'a-t-il à se dissimuler ainsi perpétuellement ? A son entrée dans le compartiment, un sentiment de malaise envahit l'espace confiné, les passagers s'enfoncent imperceptiblement dans leurs sièges.
Un sifflement long, trou d'air brusque, il tressaille, surpris. Le noir, la nuit, froide, humide, iodée : l'océan. Ensorcelant. Le froid enrobe, engloutit, pénètre, engourdit. Une multitude de vers luisants – planctons- que la lune éclaire, attire. Une nouvelle rive, interférences. Sortie de tunnel.
Elle, la tête contre la fenêtre, les yeux dans le matin pur : cimes vertigineuses, blancheur des neiges éternelles. Soudain le temps change, chargé, sombre, pesant, puis un bourdonnement d'abeilles caractéristique. Les gris du ciel et de la paroi ne font plus qu'un. Au sommet, un arc de feu danse le long de la croix en fer ouvragé. Le tonnerre, les éclairs, elle a peur, tremble, des bras puissants l'entourent, la rassurent. Rien ne peut leur arriver.
La pluie drue enfin, l'orage s'éloigne. Une chute de pierres, un geste inadapté, il glisse, dévisse, elle pare le choc. Elle pleure, il pleut, il crie dans sa vie. Dans ses yeux, à force de fatigue, du rouge, du noir, les muscles tétanisés. Du sel, larmes, sueur et pluies mêlées. Quelle arme ? Il hurle, la supplie du bout de la corde. « Coupe ! ». Elle parvient à extirper du fond de son sac à dos un piolet. La lame gris acier, terrifiante, tranche net.
Il cherche désespérément une accroche, une raison d'espérer, le vert riant de la campagne, le jaune des champs de tournesol à perte de vue - sifflement, un second tunnel. Encore la nuit, interminable, les minutes deviennent des heures. Un flash, projecteur aveuglant, vol stationnaire, son assourdissant du rotor, bruits métallique, mécanique des pales, la mer, grise, en furie. Un plongeur, tournoie au bout d'un câble puis un voile opaque. Une lueur dans ce couloir. Il fait doux, presque chaud, tout est lisse, envoûtement. Regrets. Sursaut. Il étouffe, suffoque, tousse, une lumière blanche, crue, draps immaculés. Le sang dans ses veines circule, tel ce train, qui réapparaît au jour.
Elle, sa vision se brouille, ne discerne plus ni ciel, ni paysage à travers les carreaux, juste des milliers d'étoiles qui filent, l'une d'elles brille intensément. En bas, sur le glacier, un bruit – sourd, mat. Linceul blanc, mer de glace. Pas d'issue. A l'aube, l'hélicoptère de secours, le vide, béant, hallucinant. Puis la vie, doucement, reprend.
Un sifflement, brouillage, turbulences. A nouveau la nuit. Certains somnolent, d'autres parlent, rient, boivent, mangent, vivent tout simplement. Retour à la case zéro. Tout reprendre. Terminus.
Arrivée quai B. Elle ouvre la porte. Ciel azur, éblouissant.
En face, voie A. Le soleil le brûle, il cligne des yeux. Elle est belle. La vie, là devant.